L´auberge du nain qui attend son âme | |||
Sur la table il y a des sabots de cerfs Enfoncés dans le bois pour servir de bougeoir On y a pendu des chandelles à l'envers D'où s'échappe en tremblant une flamme noire Comment savoir alors si l'on a affaire A un homme, un démon, un lutin sans âge Quand cette flamme obscure aspire la lumière Sur les murs, les plafonds et même les visages | |||
Debout dans un tiroir, les mains sous le menton Accoudé au comptoir, c'est le nain, le patron Vive et large d'esprit, méprisant le silence Dans ce corps si petit vivait une âme immense Jusqu'au triste soir où, trop à l'étroit peut-être Etouffant tout à coup dans le corps de son maître Elle avait décidé, comme un homme d'une femme D'une séparation de corps et d'âme | |||
Mais derrière le comptoir, enfin quelqu'un bouge Femme au corps de belette, au regard de rapace Qui court verser à boire un verre de vin rouge Et repart en silence rejoindre sa place C'était la sommelière, la moitié du nain Celle qu'il avait choisi dans sa vie d'avant Elle est seule aujourd'hui, au four au moulin Pendant que son mari observe le vent | |||
Debout dans un tiroir, les mains sous le menton Accoudé au comptoir, c'est le nain, le patron Il voudrait bien bouger, mais comme son corps est vide Il reste là, figé, petit pantin livide Et au fond de ses yeux, en regardant d'en haut On aperçoit un peu du bois de ses sabots Depuis plus de cent ans, regard perdu au loin Immobile il attend son âme en vain | |||
Et pendant qu'on bavarde autour d'un café Des enfants qu'ils rêvaient d'avoir tous les deux Je vois qu'elle le regarde à la dérobée Espérant voir bouger même un seul cheveu Et c'est là dans la brume, derrière les carreaux Dans les airs que j'ai vu un fagot flotter Etait-ce un oiseau nu, un poisson hors de l'eau Ou peut-être un rameurs dont on m'a parlé |